L’UNIVERS TEXTILE AKHA
« Les peuples en aval ont de l’argent ; ne laisse pas ton âme se prendre à leur argent. Les peuples en amont ont de l’or ; ne laisse pas ton âme se prendre à leur or ». Les Akhas suivent leur propre trame – l’Akhazang – la Voie Akha, qui imprime en chacun le culte du migrant, de l’ancêtre, et un respect quotidien des traditions qu’édictent dix mille vers de poésie orale. S’ils ne possèdent ni l’or ni l’écrit, les Akhas ont les pimas, des prêtres récitants, pour transmettre le passé du clan mais aussi une culture du riz et du tissage, de l’ancêtre et de la communauté.
L’Akhazang, c’est d’abord l’histoire d’un voyage, d’une lente et longue migration, de la frontière orientale du Tibet, au IIème siècle avant J.C., aux confins de la Chine… le nom d’« Akha » apparaît au VIIème siècle dans la région du Yunnan. Les Akhas abandonnent celui de « Lolos » et se replient en Birmanie et au Laos au XIXème, en Thaïlande à partir de 1905.
Aux fondements de ce peuple, il y a un refoulement permanent vers le sud, imposé par les conditions socio-politiques et économiques des villages Akhas; installés en moyenne montagne, ils n’ont ni la richesse des peuples de la plaine ni la vigueur des peuples des sommets. Migrants perpétuels, ils se sont recentrés sur un culte généalogique (un Akha doit pouvoir remonter au nom du père de la soixantième génération) et des préceptes quotidiens.
Les femmes retranscrivent sur le coton le vécu du clan. « Le sentier » est ainsi le motif brodé le plus populaire de l’art Akha. Les femmes filent, tissent ou brodent à longueur de journée. Dans une société peut-être encore assez « archaïque », le tissage est un atout économique, une nécessité pour se vêtir, un ornement pour séduire et/ou s’affirmer au sein du clan… L’aptitude de la tisserande détermine sa valeur au moment du mariage. En clair, une mauvaise tisserande n’est pas bonne à marier. Dans d’autres civilisations, la couture devait avoir la même fonction… Dès leur plus jeune âge, les filles manient le fuseau et organisent des jeux de rapidité (nombre de bobines filées en une journée) et des concours de dextérité (qualités d’exécution et de créativité de la broderie).
Les lois de l’Akhazang régissent chaque étape de la création du costume. Le coton, égréné et filé sur un métier en bambou, est successivement trempé dans un mélange de feuilles d’indigotier, d’eau, de chaux, de charbon et de cendre, puis séché, quotidiennement, pendant un mois. Cette imprégnation donne au textile une couleur bleu foncé caractéristique. La distinction, clanique et personnelle, se fait ensuite dans les styles d’ornementation (U Lo, Loimi, Phami) appliqués au costume générique des Akhas.
Celui-ci comporte, pour les femmes, une coiffe, un bustier, une veste, une ceinture, une jupe courte et des jambières. Moins élaboré, le costume des hommes se compose d’un pantalon large de style chinois et d’une veste. Les garçons y ajoutent une coiffe. L’essentiel de cet art textile demeure tourné vers l’ornement de la femme. Celui-ci est d’ailleurs atteint progressivement par la jeune fille en quatre étapes, franchies lors de diverses célébrations : le port d’un bustier, l’addition de larmes de Job et de perles blanches et rouges à sa coiffe, le port d’une ceinture puis d’une coiffe d’adulte.
L’art vestimentaire Akha s’impose dans la broderie d’application : des motifs sont crées sur la toile en cousant de multiples bandes de tissu rouge, blanc et jaune ; les femmes y adjoignent des triangles colorés et achèvent cette mosaïque textile en la parant de boutons, de graines, de pièces et de perles…
Les motifs racontent l’histoire du clan mais aussi l’âge de la femme et de son bébé, son statut économique ou marital… en bref une histoire de spécificités qui vont constituer un vêtement unique. Cet univers textile des Akhas est un art vestimentaire propre, exclusif et complexe. Il reste le premier outil de reconnaissance et de construction du clan.
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